Tenue comme coupable de l’explosion meurtrière du marché aux épices qui a eu lieu en 1998, la vie de notre amie écrivaine et sociologue Pınar Selek était devenue cauchemardesque. Aujourd’hui le cauchemar a redoublé d’intensité avec l’appel déposé par le procureur à la Cour de Cassation. Nous ressentons le besoin urgent de partager avec l’opinion publique les derniers développements fort angoissants de cette nouvelle phase judiciaire qui nous fait penser au destin de Sisyphe.
Nous avons peiné à traduire aux langues étrangères pourquoi cette affaire judiciaire durait encore, bien que notre amie ait été acquittée quatre fois de suite; difficulté due à l’anomalie du système judiciaire en Turquie.
Après le quatrième verdict d'acquittement en 2014, la décision a été cassée en appel par le procureur de la Cour de Cassation. Le dossier qui a trainé entre différentes instances juridiques qui se sont déresponsabilisées à plusieurs reprises, est finalement parvenu à la 9ème chambre de la Cour de Cassation. Après avoir examiné le dossier et précisé qu’il ne relevait pas dans leur responsabilité, le comité juridique de la 9ème chambre vient de renvoyer le dossier à la Grande Chambre sans aucun nouveau motif, simplement indiquant qu'il n'y a pas de changement dans la décision d'annulation du verdict d'acquittement de 2009. Avec la décision de la Grande Chambre – acquittement ou condamnation – le dernier mot sera dit.
Rappelons-nous que le troisième acquittement de Pınar avait été annulé de façon illégale avec l'annonce scandaleuse de sa condamnation par des juges qui sont aujourd'hui eux-mêmes condamnés à perpétuité dans le cadre des enquêtes judiciaires menées contre le groupe islamiste de Fethullah Gülen. Le dernier dossier juridique monté par la Cour de Cassation est constitué de nombreuses fausses accusations qui ont toutes étaient réfutées à maintes reprises montrant qu'elles étaient inventées à partir des dossiers fictifs sans preuves solides. Finalement ce dossier-là avait été annulé par le dernier verdict d'acquittement de la Cour locale depuis un certain temps.
Les derniers développements négatifs nous inquiètent. Nous sommes face à une situation déséquilibrée, injuste où nous n'avons pas le droit de représenter Pınar et de nous exprimer pour dénoncer ce complot devant la commission d'enquête, tandis que le procureur général qui a annulé l'acquittement et voulu la condamnation à perpétuité de notre amie sera, lui, représenté.
La Grande Chambre qui n’a pas le temps d’examiner les dossiers dans le fond, se prononce sur la base d’un résumé. Si la Grande Chambre insiste sur l’annulation de l’acquittement cela pourrait se traduire par une très lourde peine et d’une amende pécuniaire astronomique.
Dans cette période critique d'état d'urgence en Turquie, nous faisons appel à tous les groupes de solidarité nationaux et internationaux qui se sont élargis durant ces vingt dernières années, à soutenir Pınar à voix haute et forte dans tous les forums afin de montrer qu'on revendique ses droits inaliénables tant qu'il le faudra.
Pendant des années, ne serait-ce que proclamer l'innocence de Pınar nous paraissait injuste. Car c'est contre elle, sa famille et ses bien-aimés qu'un véritable crime a été commis. Cette injustice vise une intellectuelle féministe, antimilitariste qui a été la porte-parole des groupes minoritaires opprimés, qui a dénoncé les incohérences de l'histoire réécrite par des mensonges, qui s'est posée des questions sur les tabous du système patriarcal. Cette injustice intolérable nous menace tous car elle menace toutes les valeurs que nous protégeons. C'est à nous de demander des comptes et pas l’inverse car jamais Pınar n’aurait dû être condamnée.
On ne nous enlèvera ni l’acquittement, ni Pınar.
Justice for Pınar Selek Committee-Turkey