Au lendemain du procès qui l’a condamnée à la prison à perpétuité, Pınar Selek s’est exprimée, entourée de nombreux soutiens. Réunis à l’ARES de Strasbourg, ils ont raconté leur fatigue, leur colère et leur incompréhension, mais surtout leur volonté de continuer le combat judiciaire à ses côtés.
Pınar Selek l’avoue : elle est fatiguée en ce vendredi matin. La même fatigue se lit sur le visage de la quinzaine de personnes qui l’entourent à la tribune (photo MA) : représentants politiques, associatifs et syndicaux, mais aussi chercheurs et étudiants. La condamnation à perpétuité prononcée la veille a été un coup de massue pour la sociologue et son entourage. Mais “la lutte pour la démocratie est un marathon. Il faut être endurant et continuer malgré la fatigue”. Ces mots, le père de Pınar Selek, 83 ans, les a prononcés quand il a eu sa fille au téléphone après le verdict.
“La mobilisation doit dépasser le cadre strasbourgeois”
Le soutien local qui entoure la sociologue n’est plus à démontrer. Mais “la mobilisation doit dépasser le cadre strasbourgeois”, explique au petitjournal.com d’Istanbul Philippe Bies, député PS de la deuxième circonscription du Bas-Rhin : “J’ai initié un appel aux parlementaires français, qui a déjà recueilli une quarantaine de signatures. Le président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale [Bruno Roux] s’est lui-même exprimé sur la situation de Pınar Selek.”
Et la mobilisation ne doit pas se limiter aux institutions françaises, ajoute-t-il. “Il faut que les instances comme le Conseil de l’Europe et l’Union européenne fassent pression sur la Turquie pour qu’elle intègre un processus qui lui permette de respecter les droits de l’Homme et de devenir un véritable Etat de droit. C’est ce que l’on est en droit d’attendre d’un pays qui veut intégrer l’Union européenne”. Eric Schultz, conseiller municipal à Strasbourg et membre de la délégation présente au procès de la veille, acquiesce:“Se battre pour toi [Pınar Selek], c’est se battre pour la Turquie, la démocratie, les droits de l’Homme et l’Etat de droit”.
Un procès “ubuesque”
A côté de l’appui politique, Pınar Selek peut compter sur le soutien d’associations, de syndicats, de collègues chercheurs et d’étudiants. Irène Tabellion, présidente de l’association LUNE et également membre de la délégation au procès, a témoigné avec beaucoup d’émotion. “Hier, nous étions atterrés. Aujourd’hui, nous sommes en colère”, commence-t-elle. “Les juges n’utilisaient pas leurs micros, ils parlaient avec leur papiers devant la bouche pour que l’on ne comprenne pas ce qu’ils disaient. C’était ubuesque !” racontera-t-elle plus tard au petitjournal.com d’Istanbul, à propos de ce procès qu’elle qualifie de“parodie”.
Gunter Wallraff, écrivain allemand et soutien de longue date de Pınar Selek, était lui aussi présent au procès du 24 janvier et se rappelle de l’acquittement de 2011. Une toute autre ambiance. Tous avaient fait la fête et Pınar Selek était déjà prête à rentrer en Turquie. Selon lui, l’important est désormais d’ “aider Pınar Selek à continuer son travail, car c’est là que va se jouer la pression”.
“Je veux continuer à vivre comme Pınar, et pas seulement comme Pınar Selek”
Pınar Selek, tout comme ses soutiens, ne se laisse pas abattre malgré cette condamnation qu’il lui est difficile d’accepter. “C’est la première fois depuis 15 ans que je vis une condamnation. (…) Je n’arrête pas de me répéter le mot ‘‘perpétuité‘‘ dans ma tête” confie-t-elle. Mais elle passe vite à autre chose. “Hier, je disais que j’allais continuer jusqu’à la mort. Mais en fait même si je meurs, cette parole continuera à se diffuser. (…) Quand j’ai vu la nouvelle génération avec ses banderoles ‘‘Nous sommes tous Pınar Selek‘‘ devant le tribunal, je me suis dit que quelque part, on avait déjà gagné”.
Pınar Selek le répète : elle fera tout pour rentrer en Turquie. C’est pourquoi pour elle, la demande de l’asile politique en France n’est pas une priorité. “Ce ne sont que des détails techniques, l’important reste la lutte juridique”. Et une chose est sûre : sa détermination à se battre pour la justice n’a pas été entamée. “Je n’ai pas choisi d’avoir cette mission, mais maintenant qu’elle est sur mes épaules, je ne vais pas m’arrêter là”, promet-elle.
Les avocats de Pınar Selek ont déposé un pourvoi en cassation. L’affaire n’est donc pas terminée. Mais cette lutte juridique n’est pas la seule priorité de Pınar Selek : “Je vais continuer à faire ce qu’il faut pour cette affaire. Mais je veux aussi continuer à vivre comme Pınar et pas seulement comme Pınar Selek ; et donc continuer mes recherches, ma réflexion et tout ce que je faisais avant.”
Margaux Agnès (http://www.lepetitjournal.com/istanbul) vendredi 25 janvier 2013
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