Pınar Selek
Pinar Selek : vent debout pour la liberté de la recherche en Turquie

Pinar Selek : vent debout pour la liberté de la recherche en Turquie

La sociologue turque Pinar Selek termine actuellement une thèse en sciences politiques sur les mouvements sociaux en Turquie. Elle travaille au sein de l’Unité mixte de recherche Prisme1 en attendant de pouvoir réaliser son vœu le plus cher : rentrer chez elle en Turquie. Un souhait qui ne pourra être exaucé que lorsqu’elle aura été définitivement acquittée par la justice turque, levant ainsi la menace d’un emprisonnement à vie qui pèse aujourd’hui sur elle.

Pinar Selek est une sociologue turque reconnue dans son pays. Depuis toujours, elle mène des recherches sur les populations qui sont en marge de la société turque : enfants des rues, travailleuses du sexe dans les maisons closes, transsexuels, etc. Des thématiques de recherche qui lui ont souvent valu, sinon de vrais ennuis, du moins des pressions de la police ou des proxénètes.
Au milieu des années 1990, elle décide de se pencher sur la question délicate des populations kurdes, et plus spécifiquement sur le PKK, parti des travailleurs du Kurdistan, une organisation armée. « Je suis moi-même antimilitariste, et opposée par principe à toute forme de violence. Donc, mon objectif n’a jamais été de prendre parti pour le PKK. En tant que sociologue, je voulais comprendre ce qui se passe avec les Kurdes de Turquie, pourquoi cette guerre civile, qui a fait 30 000 morts, dure. » Pinar se lance alors dans la recherche de membres de la communauté kurde qui puissent lui raconter la genèse de ce conflit, au-delà de l’histoire officielle. Elle rencontre des personnalités dans son pays, mais aussi dans différents états européens où elles sont réfugiées. Elle étudie quelques temps en France et en Allemagne et met à profit ces périodes pour les rencontrer.

Des idées qui effraient le pouvoir

De retour en Turquie, son travail d’enquête avancé aux deux tiers, elle est arrêtée par la police en juillet 1998. Tous ses documents sont saisis, et on lui demande les noms et les lieux de résidence des personnes qu’elle a interviewées et dont elle a masqué les noms dans ses documents, pour les protéger. Elle refuse. « Le contexte politique était compliqué alors en Turquie. J’étais une jeune sociologue issue d’un milieu intellectuel engagé à gauche, militante féministe. Mon père est l’avocat de toutes les causes difficiles en Turquie. Je crois qu’ils ont eu peur de mon pouvoir d’influence dans la société. De ce que pouvait provoquer la diffusion de mes idées.»
Torturée, Pinar est envoyée en prison, accusée d’aider une organisation terroriste. « Pourtant, je critiquais également le PKK dans mon analyse. Mais l’honnêteté de ce travail de chercheur n’a pas compté une minute. Ils voulaient surtout abattre un symbole, une liberté. »
Finalement Pinar est accusée d’être mêlée à un attentat sur un marché d’Istanbul, attentat qui se révèlera être un accident (explosion d’une bombonne de gaz). Pinar Selek a été disculpée trois fois, et chaque fois, son acquittement a été cassé par la Cour de cassation. Elle est aujourd’hui en attente de son dernier procès, qui aura lieu le 24 janvier.

Elle n’est pas seule dans son combat

Dès la nouvelle de son arrestation connue, un comité de soutien impressionnant et cosmopolite se forme autour d’elle : ses collègues universitaires, dont la solidarité n’a jamais faibli, des enfants des rues, des prostituées, des écrivains, des cinéastes, des intellectuels. Ils assistent à son procès, certains témoignent en sa faveur. Une foule immense l’attend à sa sortie de prison en 2001.
Elle tente alors de reprendre le cours de sa vie : elle dirige une maison d’édition, pilote un journal féministe, écrit de nombreux livres dont la plupart obtiennent un vrai succès. Elle garde un lien fort avec l’université où elle enseigne, parfois. Pendant ce temps, les procédures courent et elle vit avec cette épée de Damoclès sur la tête.
« Plus le temps passait, plus je devenais un symbole de liberté et de résistance. En 2009, mes avocats m’ont conseillée de m’exiler quelques temps en Europe pour reprendre souffle.» Elle vit d’abord deux ans en Allemagne, elle écrira un roman2. Puis, comme elle maîtrise le français, elle décide de venir terminer sa thèse à Strasbourg. « J’ai été très bien accueillie et je suis très soutenue. Mais je désire plus que tout retourner en Turquie où se trouvent nombre de mes attaches affectives, et qui est mon pays. » C’est tout ce qu’on lui souhaite pour 2013.

Caroline Laplane

Ceux qui souhaitent apporter leur soutien à Pinar Selek avant son procès, le 24 janvier, trouveront toutes les informations nécessaires sur le site de son comité de soutien. Une délégation française sera présente lors de son procès à Istanbul. Pour l'instant, une vingtaine de personnes dont les représentants des ONG, des chercheurs, des écrivains ont déjà acheté leur billet. L'Université de Strasbourg va envoyer un représentant, ainsi que la Mairie.

1 Prisme : Politique, religion, institutions et sociétés : mutations européennes
2 Son roman, La maison du Bosphore, paraîtra en avril en France, éditée chez Liana Levi

http://www.lactu.unistra.fr/index.php?id=14172#c60298

Pınar Selek
Pınar Selek
Pınar Selek
Pınar Selek
Pınar Selek
Pınar Selek
Pınar Selek
Pınar Selek
Pınar Selek
Pınar Selek
Pınar Selek
Mahkeme Süreci Court Process