Point de vue
| 25.02.11 | 14h13
On sait les journalistes persécutés pour leurs écrits, pour leurs photos dans tant d'endroits du monde. On le sait moins, mais les sociologues exercent aussi un métier dangereux. Il est vrai que journalistes et sociologues pratiquent l'enquête, sous des formes différentes, mais qui viennent souvent contrarier les discours officiels, ceux des Etats et des pouvoirs.
Pinar Selek, sociologue turque, est depuis treize ans accusée à tort d'un acte terroriste odieux (avoir posé une bombe au marché aux épices d'Istanbul qui a causé la mort de sept personnes) ; elle a été emprisonnée pendant deux ans et demi, torturée. Qu'importe que les rapports de police aient établi depuis le début qu'il ne s'agit pas d'une bombe, qu'importe que les rapports d'experts aient conclu à une fuite de gaz butane, l'injustice d'Etat est en marche, depuis 1998. Libérée en décembre 2000 sur la base de ces expertises scientifiques incontestables, qui seront régulièrement confirmées par la suite, Pinar Selek fut renvoyée devant le tribunal. Acquittée pour ces faits, des faits qui n'en sont pas, en 2006, après un procès qui aura duré cinq ans, il se trouvera un procureur pour faire appel de cette décision.
Bien qu'elle soit de nouveau acquittée à l'issue d'un deuxième procès d'assises en 2008, la Cour de cassation cette fois décide de la poursuivre encore, sous le même chef d'inculpation. Le 9 février 2011, les juges ont de nouveau conclu à son innocence, suscitant le soulagement chez tous ses soutiens, turcs et internationaux, présents au procès. La joie a été de courte durée : deux jours après, le ministère public vient de faire appel de cet acquittement. Un quatrième procès aura donc lieu avec les mêmes réquisitions : l'emprisonnement à perpétuité.
On a beau lire et relire le "dossier" de Pinar Selek, on ne comprend pas, dans un premier temps, l'acharnement judiciaire dont elle est victime depuis 1998. Certes, Pinar Selek s'est engagée très tôt dans les mouvements féministes, antimilitaristes, ce qui a sans doute suscité l'ire des fractions les plus nationalistes et les plus militaristes de l'Etat turc, et des menaces, déjà. Elle a aussi créé, en 1996, à Istanbul, elle avait alors 25 ans, l'Atelier de rue, qui accueillait non seulement "les enfants de la rue" mais aussi "des adultes, SDF, travestis, transsexuelles, travailleuses du sexe, gays, lesbiennes, des voleurs, des universitaires, des vendeurs ambulants, des collecteurs d'ordures, des musiciens gitans". Un lieu unique, de débat et de création artistique, en ce sens un "atelier", dont elle a fait d'ailleurs le sujet de sa thèse. On imagine bien ce que ce "lieu d'échanges, lieu de mélanges", comme elle le qualifie elle-même, a pu susciter de haine chez les intégristes et autres gardiens de l'ordre moral et social. Mais dans une société turque en pleine transformation, Pinar Selek n'est pas la seule jeune femme à s'engager ainsi. Tout cela ne suffit donc pas à expliquer un t